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L’islam en trois mots

Dans un article précédent (1), nous avons renoncé à trouver une définition de l’islam émanant d’une autorité magistérielle reconnue comme unique véritable dépositaire de la révélation coranique, attendu qu’une telle instance n’existe pas dans le monde musulman. Nous avons subséquemment résolu, à l’instar de R. Brague et avec lui pour guide (2), de réorienter un temps notre travail. Ainsi, plutôt que de chercher à répondre immédiatement à la question « Qu’est-ce que le vrai islam? », essaierons-nous d’abord de « faire prendre conscience de la largeur de l’éventail sémantique que recouvre l’expression ‘‘vrai islam’’ (3) », car, force est de le constater, l’expression peut avoir une multitude de sens.

Examinons en premier lieu les significations rattachées au seul substantif « islam ». D’après R. Brague, qui suit mutatis mutandis la définition nominale proposée par Le Petit Robert, le mot « islam » peut référer à trois choses : une religion, une civilisation et des populations.

Une religion

Le mot « islam » désigne avant tout une religion. Une religion, explique le professeur de philosophie Jean Grondin, est un « culte croyant, le plus souvent partagé par une communauté », et qui « comporte une dimension symbolique » par laquelle les rituels deviennent porteurs de sens et par laquelle aussi les croyances s’incarnent dans le concret de la vie, offrant de la sorte au sujet croyant une vision et une expérience intégralement signifiantes de l’existence (4). Or, malgré qu’il connait certaines fractures profondes, par exemple l’opposition entre chiites et sunnites, le monde islamique peut en effet être défini comme une communauté de fidèles réunie autour de quelques croyances et pratiques communes. De ces croyances et pratiques, les adeptes de l’islam tirent un bénéfice symbolique réel, qui couronne l’existence d’un sens précis.

Dans une préface au livre Dieu des chrétiens, Dieu des musulmans (5), Rémi Brague mentionne quelles sont selon lui les composantes essentielles qui forment le socle de la religion musulmane. Il n’en dénombre que quatre (deux croyances et deux pratiques) :

  1. « Mahomet est l’Envoyé de Dieu;
  2. le Coran est la parole dictée par Dieu à Mahomet;
  3. la direction de la prière est celle de la Mecque […];
  4. cette ville [la Mecque] est pour tous aussi le but du grand pèlerinage annuel (6). »

Et le médiéviste français de poursuivre :

Quatre points, ce n’est pas beaucoup. Mais c’est l’essentiel. En effet, si le Coran est la parole divine, et si Mahomet qui l’a reçu est l’envoyé de Dieu et le « bel exemple » (Coran, 33, 21) qu’Il a proposé aux croyants, on peut, au moins en principe, en déduire à peu près tout le comportement que Celui-ci souhaite leur voir adopter (7). »

Le Coran, parole de Dieu dictée au prophète, et la vie de Mahomet, témoignage exemplaire d’une existence vécue dans la fidélité au message coranique sont donc les deux véritables fondements de la religion musulmane. C’est en eux que l’éthos (8) musulman se donne à voir dans son essence et son intégrité ; c’est en eux que se révèle le véritable sens de la vie vécue selon le dessein « d’Allah le Tout Miséricordieux » (Coran 1, 1). Or, d’après la révélation coranique, et suivant le « bel exemple » du prophète, ce qui seul donne sens à la vie, ce qui seul est promesse de rétribution dans l’au-delà, ce qui seul compte en définitive, c’est « l’abandon sans reste de toute la personne entre les mains de Dieu.  Le mot islâm signifie exactement cela (9) », nous apprend R. Brague. D’aucuns préfèrent parler de « soumission » plutôt que d’«abandon », mais on voit ce que les deux termes ont de parenté sémantique.

Une civilisation

L’Islam (avec un « I » majuscule cette fois) est aussi une civilisation. À ce titre, il s’offre à l’étude et à la contemplation, avec toutes ses splendeurs (10), comme aire culturelle s’étant développée dans l’espace et dans le temps, au fur et à mesure de la diffusion et de l’enracinement dans le monde de la religion qui lui confère sa spécificité native.

Historiquement, cette civilisation trouve son origine dans l’Arabie du VIIe siècle. Elle connait son moment inaugural en 622, lorsque Mahomet quitte la Mecque pour se replier sur « la ville qui allait plus tard s’appeler Médine (11). » On sait que cet évènement fondateur est désigné par les musulmans comme l’Hégire (de l’arabe hidjra, la fuite), et qu’il marque le début de l’ère islamique.

Géographiquement, l’aire de civilisation islamique s’étend grosso modo du Maroc à l’Indonésie, en recouvrant tout le Maghreb, l’Afrique noire septentrionale, le Moyen-Orient, l’Asie centrale, une bonne partie du sous-continent indien et de l’Insulinde. En terme symbolique, les habitants du monde islamique se conçoivent traditionnellement comme faisant partie du « ‘‘domaine pacifié’’ (dâr as-salâm) », qui s’oppose au « ‘‘domaine de la guerre’’ (dar al-harb) (12) », non encore islamisé.

Des populations

Enfin, le mot « Islam » désigne aussi « l’ensemble des peuples qui ont été marqués par l’islam comme religion et qui ont hérité de la civilisation islamique (13). » Ces peuples et ces populations (par exemple celle des musulmans émigrés en Europe occidentale) donnent à l’Islam son caractère pluriel, mouvant, voire composite. Pour faire droit à cette diversité, certains en viennent à soutenir qu’il y a autant d’Islams qu’il y a de peuples islamisés, de foyers de population musulmane, voire même d’individus confessant Allah et son prophète.

S’il semble excessif de dissoudre l’objet « Islam » dans la multitude de ses manifestations individuelles, il n’est pas non plus loisible de nier son aspect protéiforme.

S’il semble excessif de dissoudre l’objet « Islam » dans la multitude de ses manifestations individuelles, il n’est pas non plus loisible de nier son aspect protéiforme. Aussi, les ressources conjointes de la philosophie, de la théologie, de la sociologie, de la politologie et des sciences religieuses ne sont pas de trop lorsqu’il s’agit d’appréhender l’Islam (civilisation et populations) dans sa complexité.

Ainsi, le mot « islam » (avec ou sans majuscule) renvoie, le plus couramment, à trois réalités : une religion, une civilisation et des populations. Dans un prochain article, nous étudierons, toujours en ayant Rémi Brague pour professeur, les différents sens que peut avoir le mot « vrai » lorsque adossé au mot « islam ». Nous conclurons alors le chapitre introductif de notre enquête sur l’islam, cette religion/civilisation qui regroupe une multitude de peuples sous le patronage de Mahomet.

[NDLR: Vous pouvez lire la suite de cette réflexion dans l’article Les fondements de l’islam d’Alex La Salle.]

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Notes :

(1) Cf. Qu’est-ce que le vrai islam?, paru sur le site www.le-verbe.com le 2 mars 2015.

(2) Cf. Rémi Brague, « Qu’est-ce que le ‘‘vrai islam’’? » dans Philippe Capelle [dir.], Dieu et la cité. Le statut contemporain du théologico-politique, Paris, Cerf (Coll. Philosophie & Théologie), 2008, p. 63-77.

(3) Rémi Brague, « Qu’est-ce que le ‘‘vrai islam’’ ? », p. 63.

(4) Jean Grondin, La philosophie de la religion, Paris, PUF (Coll. Que sais-je?), 2012, p. 33-34. M. Grondin est professeur de philosophie à l’Université de Montréal.

(5) Rémi Brague, « Préface », dans François Jourdan, Dieu des chrétiens, Dieu des musulmans, Flammarion (Coll. Champs essais), 2012, p. 7-21.

(6) Ibid., p. 12-13.

(7) Idem.

(8) Mot grec qui, selon le site du Larousse, désigne l’ « ensemble des caractères communs à un groupe d’individus appartenant à une même société ». On peut parler plus largement de « manière d’être typique » ou de « caractère foncier » propre à un groupe ou un individu.

(9) Rémi Brague, « Qu’est-ce que le ‘‘vrai islam’’ ? », p. 64.

(10) Pensons en particulier à la beauté du patrimoine architectural islamique. Même lorsqu’on en ignore presque tout, on ne peut pas ne pas avoir en tête quelques références éblouissantes (la mosquée bleue d’Istanbul, la grande mosquée de Djenné au Mali, la madrassa Mir-i-Arab, à Boukhara, en Ouzbékistan, etc.).

(11) Rémi Brague, « Qu’est-ce que le ‘‘vrai islam’’ ? », p. 64.

(12) Rémi Brague prend soin de préciser : « Cette dernière dénomination, qui désigne traditionnellement les pays qui ne sont pas dominés par l’islam, n’est aujourd’hui plus utilisée aussi volontiers, sauf par les islamistes avoués. Les modérés lui préfèrent d’autres expressions plus discrètes, comme « monde de la mission » (ou « appel », da‘wa) ou monde du témoignage. » (« Qu’est-ce que le ‘‘vrai islam’’ ? », art. cit., p. 64.)

(13) Rémi Brague, « Qu’est-ce que le ‘‘vrai islam’’ ? », p. 64.

Alex La Salle

Alex La Salle a étudié en philosophie, en théologie et détient une maîtrise en études françaises. Il travaille en pastorale au diocèse de Montréal.