Photo: Pixabay (OpenClips - CC)
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Mes copains les athées

Depuis les débuts de l’histoire de l’humanité, l’athéisme, doctrine rejetant l’idée de l’existence du divin, a toujours été marginal puisqu’inconfortable. Accepter de vivre une vie sans réponse aux grandes questions existentielles peut être effectivement difficile à vivre.

C’est surtout au XXe siècle et par le marxisme que l’athéisme fut porté au rang de doctrine intellectuellement définie. En un mot, pour cette idéologie politique, il est un élément essentiel. En effet, soutenir la responsabilité de l’État pour le salut du genre humain et sa promesse eschatologique de la venue de l’homme nouveau exige que l’idée même de Dieu devienne l’ennemie publique no 1!

Les exemples prouvant les dérapages sociaux dont l’évacuation de Dieu fut responsable ne manquent pas. Les quelque cent millions de personnes tuées dans les goulags de l’ex-URSS, qui auront bientôt et fort heureusement un monument commémoratif (1), suffisent à comprendre que l’athéisme n’est pas aussi libérateur qu’on pourrait le croire.

J’ai souvent été surpris comme la discussion avec des athées convaincus était souvent plus facile qu’avec des croyants convaincus.

À fortiori, il semble impossible de voir la possibilité d’un dialogue avec le christianisme. En effet, il est difficile de trouver un dénominateur commun entre une doctrine qui affirme l’existence de Dieu et une autre qui la nie, pour ainsi dire, dogmatiquement et philosophiquement. Toutefois, un regard plus approfondi nous permettra de voir comment le christianisme, et spécialement sa forme catholique, a beaucoup d’éléments communs avec l’athéisme.

Étonnantes affinités

Personnellement, j’ai souvent été surpris comme la discussion avec des athées convaincus était souvent plus facile qu’avec des croyants convaincus. Selon ma position d’homme de foi, je devrais logiquement me sentir plus proche d’une personne qui, comme moi, souscrit à un système de croyances prédéfinies que nous appelons «religion».

Cependant, il m’arrive de voir chez certains de mes frères, que l’on pourrait qualifier de «religieux», des orientations intellectuelles qu’il m’est impossible de partager. C’est ce que j’ai expérimenté le mois dernier lorsque le député fédéral James Lunney (2) a émis des doutes sur la validité scientifique de la théorie de l’évolution, ne voyant pas qu’il n’y a aucune contradiction entre cette dernière et la foi chrétienne (3). D’où vient donc cette facilité de discussion avec beaucoup athées que je constate dans ma propre expérience.

L’athée a donc l’avantage, contrairement à la majorité souvent superstitieuse, d’accorder à la question de Dieu un regard critique.

D’abord, il serait faux de penser que les athées n’ont pas de croyances. Définir les personnes comme croyantes ou non croyantes n’est pas un reflet authentique de la réalité. En effet, contrairement aux agnostiques qui croient ne pas pouvoir avoir de connaissances fermes en matière «métaphysique», les athées, eux, affirment la non-existence de Dieu. Toutefois, cette prétendue non-existence ne repose sur aucune démonstration ou observation tangible et, donc, scientifique. Ainsi, l’affirmation de la non-existence de Dieu étant également une croyance, elle ne bénéficie d’aucune supériorité au point de vue de la rationalité. Nous sommes donc tous des croyants, certains croient que Dieu existe, d’autres croient qu’Il n’existe pas. En ce sens, nous avons en commun la même habitude psychologique qui consiste à «croire» lorsque nous nous posons des questions existentielles.

Rejet des dieux

Il existe cependant une autre caractéristique commune aux athées et aux chrétiens: ils sont ensemble des athées de beaucoup de dieux. En effet, les chrétiens sont des athées de toutes les fausses divinités, excepté le Dieu unique. Différence majeure me direz-vous? Effectivement, mais ce commun rejet est beaucoup plus important que ce que l’on pense habituellement. Par exemple, si nous retournons aux premiers siècles, l’une des accusations que l’on portait contre les chrétiens était d’être des athées. C’est en ce sens que saint Justin, dans sa première apologie, déclarait explicitement «nous confessons que nous sommes des athées, du moins lorsque l’on parle de dieux de cette sorte (dieux romains), sauf en ce qui a trait à l’Unique Dieu Véritable» (4).

L’athée a donc l’avantage, contrairement à la majorité souvent superstitieuse, d’accorder à la question de Dieu un regard critique et de ne pas appeler «Dieu» ce qui ne peut pas, à bon droit, être nommé de la sorte. Combien, encore aujourd’hui, font appel à des supposés voyants ou consultent des horoscopes pour connaitre l’avenir?

Ainsi, on pourrait même dire, avec le professeur Stephan Bullivant, que la plupart du temps «les conceptions de Dieu que nient les athées ne s’appliquent pas au Dieu en qui les chrétiens croient réellement. Ce sont plutôt de prétendus « dieux », des figures naïves et d’idolâtres caricatures» (5). Ce regard critique envers ce qui se présente comme portant sur le divin est commun et au christianisme, et à l’athéisme. L’athéisme peut donc se présenter comme un authentique «point de départ théologique» (6).

Loin de n’être qu’une négation du Dieu Un et Trine, l’athéisme contemporain correspond à une dimension essentielle du respect du premier commandement selon lequel nous devons «honorer qu’Un Seul Dieu». En effet, il nous rappelle que notre foi ne doit pas reposer sur une caricature, mais sur une connaissance claire de Son Identité. Ainsi, de peur que notre confiance se pose sur un Dieu qui n’existe pas objectivement, il est important de se réapproprier cet esprit critique auquel nos frères athées tiennent tant.

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(1) http://www.pch.gc.ca/fra/1396266083257#a2

(2) http://www.cbc.ca/news/politics/b-c-conservative-mp-james-lunney-tweets-against-evolution-1.2978984

(3) http://w2.vatican.va/content/pius-xii/fr/encyclicals/documents/hf_p-xii_enc_12081950_humani-generis.html; Benoît XVI :« L’évolution dans la nature ne s’oppose pas avec la notion de Création parce que l’évolution présuppose la création des êtres qui évoluent… » dans http://visnews-fr.blogspot.fr/2014/10/le-pape-sadresse-lacademie-des-sciences.html

(4) Cité dans http://www.canterburypress.co.uk/books/9781848252806/faith-and-unbelief, p.3.

(5) http://www.canterburypress.co.uk/books/9781848252806/faith-and-unbelief, p.13.

(6) Denys Turner, 2002, Faith Seeking, London : SCM Press, p.8. Cité dans http://www.canterburypress.co.uk/books/9781848252806/faith-and-unbelief, p.13.

Francis Denis

Francis Denis a étudié la philosophie et la théologie à l’Université Laval et à l'Université pontificale de la Sainte Croix à Rome. Il est réalisateur et vidéo-journaliste indépendant.