Deux beaux imbéciles?

Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis. »

– Jean 15, 16

Deviens toi-même. Prends garde à toi. Fais-toi plaisir. Choisis ta vie.

Voilà quelques-unes des grandes injonctions (1) de la modernité triomphante. On les entend, sous diverses formes, à la tévé. On les lit dans le Coup de pouce. On les croise sur les panneaux publicitaires. On les rencontre dans les traités de spiritualité boboches. Ces commandements, convenons-en tout de suite, sont à la fois plus abstraits et plus compliqués – donc pratiquement irréalisables – que l’antique décalogue mosaïque.

Si les masses (les wannabe bons cathos comme moi n’y échappent pas) suivent bêtement la parade en tentant de répondre à ces insistantes exigences, je connais deux gars qui ont décidé, lundi dernier, d’envoyer paitre ce qui sert de pâture à la majorité bruyante des brebis égarées. Comme deux imbéciles, dans un geste proche des plus violentes et suaves subversions, ils ont signé leur arrêt de mort. L’un sera vicaire de neuf petites paroisses rurales; l’autre n’en aura « que » trois, bien plus populeuses, situées en ville.

L’assurance de l’inconfort

Au-delà du nombre d’ouailles et de clochers à leur charge, ces deux nouveaux pasteurs ont accepté, nous disions, de mourir. Mourir à ces injonctions bourgeoises et garantes de la vie la plus plate et insensée qui soit. Mourir au confort promis par n’importe quelle carrière. Mourir à une certaine idée de la famille : petit carré de gazon de banlieue à couper le samedi matin, déposer les mioches à la garderie, lune de miel et assiettes cassées.

Ils s’assurent ainsi d’un inconfort constant, d’un épuisement quotidien et d’une vie qui n’a rien en commun avec Occupation Double.

Ils gouteront plutôt à des centaines de kilomètres carrés à parcourir dans le diocèse de saint François de Laval, ils auront des milliers d’enfants spirituels, et auront pour épouse une prostituée maganée – l’Église – que Dieu restaure sans cesse et transforme, lentement mais surement, par sa grâce inépuisable, en reine parée des plus beaux habits.

Dans une liberté totale face aux diktats contemporains, l’abbé Thomas Malenfant (31 ans) et l’abbé Laurent Penot (40 ans), s’assurent ainsi d’un inconfort constant, d’un épuisement quotidien et d’une vie qui n’a rien en commun avec Occupation Double.

Le Ciel sur terre

La célébration de lundi était déjà – comme toute eucharistie – un avant-gout du Ciel sur la terre. Les chants, les fleurs, l’assemblée chicksée de ses plus belles fringues (2). Mais la vie de Thomas et Laurent et le don de celles-ci à l’Église, c’est-à-dire à tous ceux qui voudront bien bénéficier de ce don, nous placent immanquablement devant deux possibilités concurrentes :

  • Le Ciel n’existe pas, la vie humaine se limite à la matière, aux cellules de notre corps, et Dieu est une invention pour calmer les angoissés, donc Thomas et Laurent sont de parfaits idiots;
  • L’âme est immortelle, créée par un Dieu qui veut notre bonheur complet et éternel, et la décision de deux jeunes hommes dans la force de l’âge de donner leur vie à l’Église est une sérieuse invitation pour tous hommes et femmes de bonne volonté à désirer la Joie éternelle.

Quelques souhaits de bonheur

On se permet ici, comme des souhaits de bonheur aux nouveaux prêtres, de lister l’antithèse des exigences de notre époque.

Ils ne deviendront pas eux-mêmes. Ils seront simplement ce qu’ils sont : des imbéciles qui se savent imbéciles et qui ont besoin d’être sauvés de leurs petits et grands bourbiers. De sorte qu’ils ne pourront pas être des moralisateurs hautains, mais des pasteurs pleins de miséricorde.

Ils ne prendront pas garde. Ils seront de cette Église « accidentée » parce qu’elle est sortie aux périphéries, à l’appel du pape François. Ils se feront casser la gueule, seront blessés, et parfois même ridiculisés dans leurs jaquettes moyenâgeuses. Imprudents à plusieurs égards, ils prendront des risques stupides pour leur santé.

Ils ne se feront pas plaisir. Mais ils recevront la joie qui vient du don total. Ils vivront leur sacerdoce non pas contre ou malgré la chair. Ils vivront cet état grâce à celle-ci, en la subordonnant, tel un époux fidèle, aux biens supérieurs.

Ils n’ont pas choisi leur vie. Ils se sont laissé choisir.

___________

Note :

(1) Ces injonctions ont été aperçues dans un texte pratiquement introuvable – sa rareté augmentant sa valeur, déjà élevée de par son contenu – de Guy Bajoit, Le Grand Individu Abstrait.

(2) Vous pouvez consulter l’album officiel des photos de l’événement, signé par Daniel Abel.

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Antoine Malenfant

Animateur de l’émission On n’est pas du monde et directeur des contenus, Antoine Malenfant est au Verbe médias depuis 2013. Diplômé en sociologie et en langues modernes, il carbure aux rencontres fortuites, aux affrontements idéologiques et aux récits bien ficelés.